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Message par Lilyna Sam 13 Déc - 22:45

Au cours de vos aventures ou fouilles sous-marines, notamment, vous récupérerez des pages de Livres. Celles-ci peuvent être assemblées afin de relier un livre.

A quoi cela peut-il bien servir ? Certaines pages renseignent l'emplacement de trésors, etc. Certes, ce n'est pas très utile, mais parfois, on s'embête un peu...

Il en existe 12 et certains ne seront disponibles que lors de prochaines mise à jour !
Lilyna
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Différents livres Empty Journal de voyage de Rudal

Message par Lilyna Sam 13 Déc - 22:46

Quand cela a-t-il commencé ? C'est un vague souvenir qui m'a hanté toute ma vie. Celui d'être blotti au chaud contre le sein d'une femme superbe. La sécurité et l'amour de cette étreinte est indescriptible. Ce sentiment m'a peut-être poussé à chercher cette femme toute ma vie.

J'ai quand même eu d'autres amours. Le doux souvenir du premier revigore encore mon corps épuisé. Shuhana... apothicaire à Hatora. Quand j'étais jeune, elle me laissait essayer tous les remèdes qu'elle découvrait. Selon certains, ils n'avaient aucun effet, mais je pense qu'ils sont la raison pour laquelle je suis resté en si bonne santé tout au long de mes aventures. Je me demande si elle dispense toujours ses remèdes à quelque jeune chanceux.

Quand j'ai eu 15 ans, j'ai quitté Hatora pour commencer ma carrière d'aventurier. Ce n'est pas parce que j'ai vu Shuhana embrasser Kamas que je suis parti, mais parce que Shuhana n'était pas la femme de mon souvenir. Et c'était cette femme-là que je voulais trouver.

Quand je suis parti, une autruche tachetée m'a pris par surprise aux Champs flétris. Comme si elle avait été dressée pour le faire, elle m'a volé mon sac en passant à toute vitesse à côté de moi. J'avais à peine quitté la maison que j'étais déjà sans le sou.

J'ai rencontré Kakki l'apothicaire à Vastemanches. Peut-être me rappelait-elle Shuhana. En tout cas, je ne pouvais pas partir.

À Bourg-la-Bigorne, je rencontrai une superbe femme du nom d'Anna. Je tombai sous son charme dès le soir où nous dinâmes ensemble. Elle était curieuse du monde et m'écoutait avec attention. Si je lui avais prêté la même attention, j'aurais pu avoir plus qu'un simple dîner.

Malheureusement, elle était l'amante d'un Faucon obscur. Si je l'avais su, je l'aurais soigneusement évitée, car un jour les criminels me kidnappèrent.

C'est avec chance que je m'échappai de la Planque des Faucons obscurs... et grâce à une femme du nom d'Azna, ma geôlière. Cette mésaventure eut le mérite de m'apprendre une leçon : ne jamais s'intéresser à une femme en couple. Surtout quand l'homme peut découvrir facilement le pot-aux-roses.

En allant à la Fabrique d'automates, je mis le pied dans un tas de fumier de yata encore chaud. Quelle ville dégoûtante.

Je dressai un yata dans le Pâturage à yatas. Monter est beaucoup mieux que de marcher, surtout lorsqu'on a du poids à transporter. Une monture robuste permet aussi de prendre des passagères... surtout lorsqu'elles sont jolies !

Je rencontrai une jeune Narayana à l'Œil-du-tigre. Les Narayanas adultes sont terriblement laides, mais dans leur jeunesse elles sont tout à fait gentilles et jolies. Je ne comprends pas comment de si délicieuses enfants deviennent de si monstrueuses créatures. Quel gâchis !

Je rencontrai ensuite un explorateur du nom de Skajan dans la Jungle de Mahadevi. Il me conseilla de me rendre aux ruines d'Alkaran et de chercher des indices dans une statue cassée. Son sourire ne m'inspira pas confiance et je passai mon chemin. J'appris plus tard que ceux qui avaient écouté son conseil s'étaient transformés en pierre. L'infâme ! Aventuriers, attention à ce genre de types.

C'est en arrivant au Guet du braconnier que je rencontrai Diraal. Tout est peut-être la faute de Shuhana, mais je ne peux résister à une femme qui s'occupe de remèdes. Je me demande si mon mystérieux amour était une alchimiste.

Après avoir dépensé sans compter pour Diraal, je me retrouvai sans le sou. Je trouvai un travail d'orpailleur et constatai à ma grande surprise que l'on pouvait trouver de l'or dans l'eau au lieu du beau reflet d'un visage féminin. J'ai entendu dire qu'une ville narayana du nom d'Hal Hahpa était entièrement construite en or. Serait-ce possible ?

La Cité des tours fut la première grande ville qu'il me fut donné de voir. Tant de gens peuplaient ses rues... et tant de belles femmes. C'était comme si chacune d'elles m'appelait, me demandait d'y rester quelque temps et d'y profiter de la vie avec les quelques sous que m'avait rapportés l'orpaillage. Que faire, sinon obéir ?

J'allai dans une taverne dans le but de trouver une compagne pour la nuit, mais au lieu de ça je fis la rencontre d'un homme nommé Samiad. Je ne perds pas habituellement mon temps à parler aux hommes, mais il avait autant d'histoires intéressantes à raconter que moi et nous devînmes amis. C'est lui qui me suggéra de rédiger les mémoires de mes voyages !

Je fus contraint de quitter précipitamment la Cité des tours. Je venais de passer une charmante nuit en compagnie d'une femme nommée Habina, lorsque son mari nous surprit et me menaça de son couteau ! J'avais pensé remettre mes récits de voyage à Samiad pour qu'il les publie, mais je les abandonnai involontairement dans ma fuite.

Je rencontrai Hassemia au Port de Mahadevi. Je me souviens nettement des moments passés ensemble et de sa façon de faire bouger son corps voluptueux. Je rêvais de passer au moins une deuxième semaine avec elle, mais je dus encore fuir lorsque son forgeron de père lança un marteau sur mon... enfin, dans ma direction. Mais ce n'était pas si grave, car elle n'était de toute façon pas la femme de mon souvenir.

Plus tard, sur la côte, un squalanthrope m'attaqua ! Je serais mort si un malicieux petit squalanthrope nommé Mikki ne m'avait pas sauvé. Il voulait devenir un vrai Harani en se nourrissant d'ail et d'armoise. Je me demande s'il a réussi. Il faudra que je lui rendre visite un jour ; il est peut-être devenu le petit frère qui m'a toujours manqué.

J'avais entendu dire à quel point la beauté des sirènes était enivrante, et je décidai d'aller à leur rencontre. Par tous les dieux, quelles créatures visqueuses et dégoûtantes ! Je pourrais éventuellement ne pas prêter attention à leur odeur de poisson, mais ce corps glissant est tout à fait déplaisant ! Il me fallut toute ma détermination pour me contenter de serrer la main d'une d'entre elles.

Je finis par trouver une grotte remplie de créatures ailées nommées Astras. Je la fouillai dans ses moindres recoins, mais n'y trouvai que des spécimens masculins. Par tous les dieux ! Une femelle Astra m'aurait semblé tel un ange tombé du ciel. Encore une fois, quel gâchis !

Des gardes m'arrêtèrent à un Point de contrôle alors que je me rendais à Austera. Abimar, leur chef, affirmait que j'avais l'air d'un contrebandier... moi qui n'avais que mes tendres souvenirs à faire passer ! Cela ne les convainquit pas et je dus passer 5 jours à être interrogé. Torturé. J'aurais pensé que mon beau visage aurait suffi à me disculper : les contrebandiers devaient avoir l'air quelconques.

En arrivant à Austera, je rencontrai une femme du nom de Miyan. Bien que son nom signifiât "lune" dans une langue ancienne, elle n'avait rien de frappant, ni d'exotique, ni de voluptueux. D'ordinaire, je ne me serais guère inquiété d'elle, mais j'entendis dire qu'elle était la sœur d'Abimar. Je décidai donc de jouer avec elle pour me venger de mon interrogatoire.

Je n'avais jamais rencontré une femme qui ne succombât à mon charme. Et Miyan ne jouissait certainement pas d'un grand succès auprès des hommes. Je m'attendais à ce qu'elle s'évanouît de joie à la soudaine attention que je lui accordais. Au lieu de cela, elle fit voler mon orgueil en éclats. Elle ignora mes mots doux pendant des semaines, avant de m'avouer qu'elle était fiancée. J'en étais bouche bée.

Je décidai alors de la séduire. Je la rendrais folle de moi, puis je rirais un grand coup et je l'abandonnerais. Alors j'aurais mangé froid le plat de ma vengeance. Pour blesser mon tortionnaire, j'allais blesser sa sœur.

J'entrai en service à la taverne "Au bouc et à la gargouille", au port. Un autre frère de Miyan y travaillait et cette dernière lui rendait fréquemment visite. Je l'observais de près, cherchant les indices qui me permettraient de la séduire. Je volai son mouchoir et mémorisai son parfum.

Cent jours passèrent. Je parvenais à parler à Miyan, mais à peine quelques mots lors de ses passages. Elle ne me prêtait guère d'attention. Il s'agissait manifestement d'un autre genre de femme, et la réussite de mon entreprise nécessitait des mesures radicalement différentes.

Je décidai de me débarrasser du fiancé de Miyan. Pas de le tuer, bien sûr que non. J'avais un minimum d'éthique, des limites. Juste de le faire sortir du tableau. Grimax, tel qu'il s'appelait, travaillait en tant que garde du corps de la famille Kalia. Au bar, j'affirmai à quelques Pirates d'Halcyona qu'il avait mis la main sur un formidable trésor et prétendis qu'il ne continuait de travailler que pour préserver les apparences, qu'il était en réalité terrifié à l'idée de se faire enlever contre rançon et de perdre ses richesses. Je dis que seule sa fiancée savait où il gardait son trésor.

Comme on pouvait s'y attendre, les Pirates d'Halcyona commencèrent par enlever Grimax et demander une rançon astronomique, mais bien sûr Miyan ne possédait pas de formidable trésor dans lequel puiser. Au lieu de baisser les bras et de passer à autre chose, elle alla s'adresser au fils aîné des Kalia.

Elle passa la nuit avec lui. À l'aube, une diligence la déposa à la taverne non pour la ramener confortablement en lieu sûr... mais parce qu'en réalité elle ne pouvait qu'à peine marcher. Le fils Kalia paya la rançon de Grimax.

Les yeux de Miyan, qui brillaient autrefois comme une oasis, étaient maintenant réduits à un désert de tristesse. On aurait dit les yeux d'un cadavre. Quelque chose en elle avait volé en éclats. Son cœur. En observant son visage métamorphosé, je compris enfin pourquoi je m'étais battu si fort pour elle, pourquoi j'avais fait ces choses terribles : je l'aimais.

Je l'aimais, mais je l'avais détruite.

Grimax revint avec un bras en moins. Il venait tous les soirs Au bouc et à la gargouille et buvait jusqu'à l'évanouissement. Il semblait savoir ce que Miyan avait fait pour le sauver. Je passais des heures à l'observer, à constater ma bêtise et à siroter le vin local. En bouche, je ne sentais que de l'amertume et ne pouvais que serrer le mouchoir de Miyan contre mon cœur.

Quand il se réveillait et parvenait à se traîner jusqu'à chez lui, Grimax battait Miyan impitoyablement. J'étais furieux. En jour, n'en pouvant plus, je le suivis et l'attaquai. Il était bien trop ivre pour se défendre et je le cognai de mes poings, de plus en plus fort. Je l'aurais tué, mais Miyan m'en empêcha. Ses yeux remplis de larmes me blessèrent au vif.

On retrouva le corps de Miyan dans la mer. Battu comme plâtre. Plus tard, on retrouva celui de Grimax, noyé. Il s'était tué de remord. Je tentai de réchauffer ses lèvres glacées, mais jamais elle ne se réveilla.

J'abandonnai Austera et revins à Mahadevi, déterminé à oublier. J'avais entendu dire qu'une herbe, à Boqueteau-la-Reine, pouvait effacer les souvenirs douloureux. Je la trouvai facilement. D'aucuns tentèrent de m'empêcher de la prendre, affirmant qu'elle pouvait être dangereuse, mais je ne me souciais guère de mon bien-être. Je l'engloutis.

Je me réveillai dans un élevage de Villanelle avec un mal de tête surpuissant. Depuis combien de temps avais-je quitté Austera ? Je n'avais aucune notion du temps. Je demandai la date à l'éleveur. Trois ans depuis Austera. Je n'en avais aucun souvenir. J'avais vécu et travaillé hors de toute conscience personnelle, ne disant rien, ne ressentant rien, ne me souciant de rien. Un esclave couvert de cicatrices dont je ne savais même pas l'origine. Cela semblait mérité.

Au pied de la Colline de Chante-luth, je trouvai une boîte. Je voulais savoir ce qu'elle contenait, mais je n'en avais pas la clef. Quel genre d'objet précieux pouvait tenir dans une boîte de cette taille ?

J'entrai dans la taverne la plus bondée que je pus trouver et tentai de me perdre dans la foule, buvant et regardant la pleine lune par la fenêtre. Lune. Miyan. Elle ressurgit dans mon esprit, le souvenir de son existence s'écrasant sur moi comme des vagues sur un rivage. Je ne me rappelais pas son visage. C'était comme si on avait recouvert son portrait d'une couche de peinture.

Je suivis la Rivière chantante jusqu'à une cascade et trouvai un élégant pavillon sur une falaise. Qui avait bien pu le construire ? Il était parfait. L'exact opposé de la destruction que j'avais causée de mes propres mains. Je contemplai le paysage, dont la beauté me coupa le souffle.

Je trouvai un Renard demi-lune à la cheville cassée au site d'abattage de la Colline des sanglots. Il pleurait de douleur. Lorsque j'approchai, il montra ses crocs et grogna, mais je n'avais rien à perdre. J'allai jusqu'à lui, lui caressai la tête et soignai sa blessure.

Je voyageai jusqu'au Sanctuaire de la réunion après avoir relâché le renard dans la nature. Je voulais prier pour Miyan, prier pour mon pardon, et commencer une nouvelle vie. Je laissai ma bière à l'extérieur du sanctuaire et entrai. C'était la première fois depuis Austera que je n'avais pas de bouteille à la main.

Au Sanctuaire de la réunion, je fus attaqué par des gorilles. J'étais tellement surpris de les voir que je finis par tomber d'une falaise. Je terminai ma chute dans les broussailles, enveloppé de douleur, et fermai les yeux. "Voilà comment on meurt," me dis-je, juste avant que les ténèbres ne s'emparent de moi.

À mon réveil, j'étais étendu dans une pièce ensoleillée, recouvert de bandages. Je tentai de bouger, mais une femme me calma en me caressant la tête. "Vous ne pouvez pas encore bouger, murmura-t-elle. Dormez." Je fermai les yeux.

La femme s'appelait Banya. Elle m'avait trouvé au pied de la falaise et soigné. Je ne comprenais pas pourquoi elle s'était donné cette peine. Lorsque je lui demandai, elle répondit juste qu'elle ne faisait que s'acquitter d'une dette envers moi. Son sourire était mystérieux.

Mes blessures finirent pas guérir suffisamment pour que je puisse sortir de mon lit. Je me promenais avec Banya dans une prairie des environs lorsque je me rendis compte qu'elle boitait. Elle me dit que ce n'était rien, une simple vieille blessure à la cheville. Je compris que j'étais enfin prêt à laisser partir Miyan. J'enveloppai la cheville de Banya dans le mouchoir de Miyan après l'avoir rempli d'herbes médicinales.

Je vécus avec Banya plus de trois mois après la guérison de mes blessures. Son visage rayonnait d'amour et de compassion, et je me libérais enfin du pesant souvenir de Miyan. Je vivrais une nouvelle vie, et elle commencerait par cet amour naissant.

Des mois de joie passèrent. Comme d'innombrables fois auparavant, Banya se rendit au village chercher de la nourriture. Deux jours passèrent sans qu'elle revînt. Mort d'inquiétude, je descendis de la montagne, redoutant ce que j'allais découvrir. Mon chemin me fit passer devant le Sanctuaire de la réunion.

Un groupe de chasseurs campait près du sanctuaire. Ils buvaient beaucoup, fêtant les nombreux Renards demi-lune qu'ils avaient réussi à prendre. En effet, une grande cage se tenait derrière eux, remplie de ces créatures terrifiées.

L'un des renards avait un mouchoir rempli d'herbes autour de la cheville.
Je compris enfin la vérité. Je rivai mon regard dans celui du renard, puis le dirigeai vers les joyeux chasseurs. Je serrai les lèvres ; j'avais fait mon choix.

Poussant un rire bruyant et généreux, je me joignis aux chasseurs, prétendant être un voyageur de passage. Je leur montrai une bouteille, affirmant qu'il s'agissait d'une bière exotique d'une contrée d'outre-mer. "Ça fait toujours plaisir de boire un verre ! ajoutai-je bruyamment. Et en plus la lune est superbe. Qui veut se joindre à moi ?" Les chasseurs burent tous une gorgée et ne remarquèrent pas que ce ne fut pas mon cas.

Lorsque la boisson leur eut fait perdre connaissance à tous, j'ouvris la cage. Tous les renards se précipitèrent dans la forêt. Tous sauf un, affalé d'un air pitoyable dans un coin, la tête baissée. Je m'approchai et prononçai son nom : Banya !

Il sauta dans mes bras en poussant un gémissement et je le serrai désespérément contre moi. Je caressai sa douce fourrure et murmurai une promesse : "Je trouverai le moyen de te faire rester femme. Promets-moi de m'attendre." Ma vie avait enfin un but.

Un prêtre d'un Sanctuaire de Salphira me dit qu'une énergie sacrée aux pouvoirs divins résidait dans la Futaie silencieuse. J'y allai sans attendre. Des pouvoirs divins pourraient sûrement permettre à Banya de rester femme.

Je demandai à Grynd Haim à Vedisa s'il connaissait le pouvoir des dieux. Il me dit que oui et que toute la forêt en était imprégnée, que c'était le pouvoir des dieux qui avait fait ces arbres si grands et ces feuilles si vertes. Malheureusement, il ignorait d'où il puisait sa force.

Je continuai à me renseigner et entendis parler d'un archéologue qui recherchait l'énergie sacrée près du Lac silencieux. Il fut aisé de le trouver.

L'archéologue affirma que la source de l'énergie sacrée de la forêt se trouvait sous le lac, dont les eaux empêchaient le plein potentiel de se manifester, ne laissant qu'une faible fraction – pourtant suffisante pour faire des arbres locaux de véritables géants – s'en échapper. Je plongeai dans l'eau du lac.

Je rejoignis un bateau et m'y reposai. Il appartenait à un homme du nom de Grayson. Il insérait de petits fils dans les lanternes qui décoraient son bateau, dans l'espoir que ces lumières aideraient sa femme à retrouver le chemin de leur foyer. Elle avait disparu au lac, et il était la seule personne qui refusait de croire qu'elle était morte. Je priai pour elle, et poursuivai mon chemin à la nage.

J'atteignis un petit îlot au milieu du lac et y trouvai un Élémentaire de bois disposé à parler. Je le questionnai sur le pouvoir des dieux et il me répondit que les arbres géants en étaient imprégnés. Lorsque je lui demandai quelle était la source de ce pouvoir, il affirma qu'elle se trouvait au fond du lac. L'archéologue avait raison.

À partir de ce jour, je passai autant de temps que possible à nager tant bien que mal jusqu'au fond du lac à la recherche d'indices sur la source de ce pouvoir magique. Pouvoir qui, je l'espérais, pourrait sauver Banya. Une semaine s'écoula avant que je fisse une étrange découverte.

Un pilier de lumière s'élevait des profondeurs du lac. Je le suivis de plus en plus profondément, mes poumons près à imploser. Je trouvai une immense pierre toute gravée. Je perdis connaissance en la touchant, bien que je ne puisse dire si ce fut en raison de son pouvoir ou de mon manque d'oxygène.

Je me réveillai, comme ce fut le cas plusieurs fois auparavant, au contact d'une étrangère. Elle me dit qu'elle était la domestique personnelle d'un comte et qu'elle m'avait trouvé sur la rive nord du lac, où l'homme passait ses vacances. J'avais dû y échouer après m'être évanoui.

Pourtant, j'avais remarqué quelque chose d'étrange. Depuis ma perte de connaissance dans le lac, je sentais qu'un pouvoir avait jailli en moi. Peut-être s'agissait-il de l'énergie sacrée que j'avais cherchée pendant tout ce temps... mais ça n'en avait pas l'air. Mon instinct me disait que l'origine de ce pouvoir n'était pas divine. Peut-être s'agissait-il juste du sentiment que ressentent tous ceux qui ont frôlé la mort.

Selon certains, on pouvait gagner le pouvoir des dieux en remportant un pari contre le dieu Loka. Je voyageai donc jusqu'au Bassin de Tour-minot, la terre que l'on surnomme "l'échiquier de Loka" en me demandant quel genre de pari un simple humain pouvait bien gagner contre un dieu.

À la Gorge de Tissenuage, je rencontrai un vieux Firran tout ratatiné. C'était le premier vieillard firran que je voyais malgré mes années de voyage. Au contraire des jeunes agiles qui se pavanaient autour de lui, il était de maigre stature et son dos était courbé. Les traits de son visage poilu et hagard étaient tirés. Je tentai un instant d'imaginer mon corps me trahissant de la sorte dans mes vieux jours et frissonnai.

Je trouvai un autre endroit signalé par un tas de pierres à la Gorge de Tissenuage ; il s'agissait d'un cairn duquel pendait une note griffonnée sur du cuir de buffle renforcé. C'étaient les dernières volontés d'un Firran décédé. Leur sincère simplicité me provoqua des frissons dans le dos. Cette créature avait été manifestement bonne et honnête, et à présent elle pourrissait.

Finalement, un Firran nommé Nuthur me donna des instructions à Crépuscule sur la manière de voler une partie des pouvoirs divins de Loka. Je devais chercher une pierrevent cachée à Sombre-crin. Elle avait été bénie par Loka, et le dieu se rendrait compte s'il lui arrivait quelque chose. Malheureusement, la zone grouillait d'orcs. Je n'étais pas sûr d'arriver jusqu'à la pierre, mais je pensai à Banya et lui promis d'au moins essayer, quitte à y laisser ma vie.

Voyageur accompli, je ne suis néanmoins pas doué en matière de furtivité. Les orcs m'attrapèrent facilement alors que j'explorais leur territoire. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils eussent domestiqué des loups, qui avaient si aisément flairé ma piste. Je fus jeté dans une prison sommaire en compagnie d'un autre vieux Firran. Il y avait peu à manger, peu d'espoir et guère plus que mes souvenirs pour me maintenir en vie.

Heureusement, le vieux Firran préparait un plan d'évasion depuis pas mal de temps. Je l'aidai et parvins moi aussi à sortir. Je revins à Crépuscule pour recueillir davantage de renseignements sur les pierrevents qui me permettraient d'attirer l'attention de Loka, mais Nuthur ne fit que répéter les informations qu'il m'avait déjà données. Me prenait-il pour un idiot ?

Alors que je me plaignais de la situation auprès du vieux Firran, un de ses amis m'expliqua que Nuthur était sénile. Mes joues rougirent de honte. J'avais failli me faire tuer par des orcs parce que j'avais écouté un vieux Firran sénile. Je devrais me montrer plus prudent à l'avenir.

Je décidai de gravir la montagne la plus haute du Bassin de Tour-minot, l'endroit où, selon la légende, le dieu Loka était né. Quel meilleur endroit pour m'emparer d'une infime partie de son pouvoir ? Je n'avais jamais entendu parler d'une telle ascension, si ce n'est celle de la légendaire Expédition du Cénacle. Mais ma détermination était semblable à celle de ses membres. Je savais que j'y arriverais.

Les vents me déchiraient la peau telles des lames. Les blizzards hurlants faisaient voler la glace à mon visage comme pour me dépecer. Je devais me plaquer au sol et ramper le plus péniblement du monde vers le sommet. Chaque inspiration semblait remplir mes poumons de lames de rasoir. Je perdis le besoin de manger. Mais enfin, après des jours passés dans le tourbillonnement des nuages, j'aperçus le pic.

Jamais je n'avais pris conscience de ma respiration auparavant. Je la tenais pour acquise. Mais maintenant que chaque inspiration était une souffrance, je sentais pourtant que je ne me lasserais jamais de respirer.

Une falaise recouverte de glace gardait le pic comme un rempart insurmontable. Elle était lisse et vitreuse comme la surface du Lac silencieux, et n'offrait aucune prise. Devais-je faire demi-tour ?

Serrant les dents de détermination, je plantai ma dague dans la glace. En heurtant le mur, elle fit courir des tremblements dans mon bras tout entier. Je faillis laisser tomber le précieux instrument, mais au lieu de ça je l'arrachai de la glace et la plantai à nouveau.

Les quelques trous ainsi creusés me permirent de gravir une petite partie de la falaise, puis je recommençai.

À mi-chemin, ma dague se cassa. En grattant la glace du bout de mes doigts, j'avais fait geler le sang de mes mains. Je n'avais plus mal. J'avais perdu toute sensation. Je passai deux jours sans bouger sur le flanc de cette falaise. Je voulais arrêter. Je ne pouvais pas aller plus loin.

Je commençai à me laisser gagner par le sommeil. Ce n'était pas une sensation désagréable, mais soudain je me rappelai Miyan. Je n'avais pas encore pleinement expié sa mort. Donner une vie permanente d'être humain à Banya... voilà qui serait une expiation. Le sens de la responsabilité – semblable à l'énergie qui s'était propagée en moi au lac – m'investit, répandant sa chaleur dans tout mon corps.

Je plantai cette fois le manche de ma dague dans la paroi, soulevant un autre morceau pour y placer mon pied.

J'atteignis le pic. Le lieu de naissance mythique du dieu. Tout le continent s'étendait devant moi tel un tissu rapiécé dont les motifs et les couleurs s'étalaient jusqu'à la mer. Alors que les nuages et les brumes se dispersaient au-dessus de l'eau, j'imaginai pouvoir embrasser la côte nuienne du regard.

L'air était rare comme la vie sur ces hauteurs, et j'avais le plus grand mal à respirer, mais je m'en rendais à peine compte. Je m'assis et regardai les navires quitter la côte de Villanelle, glissant sur l'eau comme au ralenti. Contemplant le monde d'en haut à travers les nuages, je me sentais presque l'égal des dieux.

Mais cela ne me conférait aucunement les pouvoirs d'une divinité. Ce n'était qu'une illusion. Je criai, priai et raillai Loka d'avoir laissé une créature vivante découvrir son lieu de naissance, tout en l'implorant de m'aider. Mais il ne répondit pas et me donna encore moins le pouvoir de sauver Banya. Peut-être n'existait-il même pas.

Je redescendis du sommet en planeur, finissant ma course à Caernord. Mes épaules et mes bras tremblaient de fatigue. Le vol sembla durer éternellement, et lorsque j'atterris enfin, je m'écroulai en riant comme un dément. Qui oserait croire ce que je venais de faire ?

Je me trouvais au "Caniveau des gentilshommes", le célèbre Quartier rouge de Caernord. Les nymphes de la nuit tentaient de me séduire de leurs lèvres pulpeuses et de leurs corps agiles, mais pour la première fois de ma vie, je n'étais pas tenté. Je pensais juste au visage de Banya. Que penserait-elle de moi si je succombais, la trahissant dans un voyage que j'avais entrepris pour la sauver ? Je n'allais pas laisser mes intentions se pervertir en chemin.

Je me servis toutefois des femmes du quartier dans une intention particulière : obtenir des renseignements. Elles savaient peu de choses pour la plupart, mais l'une d'elles prêtait attention à ce qu'elle entendait en compagnie d'un de ses clients. Elle avait ouï dire que le Roi d'Ynystere préparait une expédition pour Auroria.

Je connaissais l'histoire. Auroria était la source de toute magie : la Jardin magique que l'Expédition du Cénacle avait découvert. Les pouvoirs qui s'y trouvent avaient fait de certains des membres de l'Expédition des dieux. Il était certain qu'ils pourraient définitivement donner forme humaine à Banya.

Je me débrouillai pour me faire employer dans la maison d'une marquise locale. Une maison royale était l'endroit idéal pour obtenir plus de détails au sujet de l'expédition du Roi. Je me cognai délibérément contre la marquise à plusieurs reprises, lançant une phrase pleine d'esprit à chaque occasion.

Je fus suffisamment attachant pour qu'elle fît de moi son valet de chambre personnel. Il était rassurant de constater que je n'avais rien perdu de mes charmes.

Une fois par semaine, la marquise tenait salon chez elle en compagnie d'autres dames de la noblesse. J'écoutais leurs discussions avec la plus grande attention. Bien qu'il s'agît souvent de commérages, il leur arrivait parfois de discuter d'informations plus confidentielles. Naturellement, les nobles ne s'attendent jamais à ce que leur personnel écoute les conversations. Après tout, les domestiques ne sont presque pas des personnes !

Trois mois plus tard, j'avais toutes les informations qu'il me fallait : Ishvara boréale, Ishvara occidentale, Deux-couronnes et le Trône du croissant envoyaient chacun une expédition à Auroria, la terre d'origine. Je trouverais sûrement ma place au sein d'un de ces groupes.

Pour un prix exorbitant j'envoyai un message à Banya pour lui dire que je touchais au but.

Je trouvai un poste d'ouvrier au sein d'une des expéditions. La marquise fut plus qu'heureuse de me fournir une lettre de référence, bien qu'elle regrettât mon départ. Mais ma joie fut de courte durée. Elle se transforma en... bonheur complet. Banya était venue me dire au revoir.

Nous passâmes quelques sublimes semaines ensemble. Elle se transformait parfois en renard, mais je veillais sur elle. Nous trouvâmes même une cabane à l'écart de la ville qu'elle louerait en mon absence, où les chasseurs et les regards curieux ne viendraient pas l'importuner.

La dernière nuit avant mon départ, j'eus beaucoup de mal à dormir. Je tremblais de nervosité, étendu à côté de mon amour. Elle me dit que j'en avais fait assez, qu'il ne fallait pas que je parte, mais ma décision était prise. J'avais provoqué la mort de Miyan et je voulais maintenant sauver celle de Banya. Il fallait qu'il en fût ainsi.

Malgré ma nervosité, je ressentis une étrange paix en moi. Je savais en mon for intérieur que si je suivais ce chemin, ma destinée, je reviendrais un jour à Banya. Nous passerions le reste de nos jours ensemble à partager notre profond amour. Mais d'abord, je devais affronter Auroria et tout ce qui m'attendait là-bas.
Lilyna
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Message par Lilyna Sam 13 Déc - 22:47

Rohna, Miles et moi étions amis lorsque nous étions enfants à Grandésir. Nous pensions que nous le resterions toute notre vie, mais en grandissant notre relation changea.

Mon amitié pour Rohna se transforma en amour, mais malheureusement, il en fut de même pour Miles. Toutefois, Miles et moi étions tellement bons amis que nous décidâmes de faire une croix sur nos sentiments pour Rohna. Le problème, c'est qu'aucun de nous deux n'y parvint réellement.

Cette situation ne pouvait durer. J'avais l'impression que mon cœur allait éclater. Et pourtant, tout en aimant Rohna, je considérais toujours Miles comme mon meilleur ami. Comment aurais-je pu perdre un ami pour gagner un amour ?
Pendant que je méditais, Miles rompit notre pacte tacite. Il alla voir Rohna et lui fit part de ses sentiments.

Je me tenais juste à côté d'eux. Rohna hésita et me lança un regard. Quelques lourds instants passèrent et je restais trop stupéfait pour parler. Rohna finit par accepter d'épouser Miles.

Toutefois, ce moment me hanta toute ma vie : pourquoi m'avait-elle regardé après la demande de Miles ?

Après leur mariage, je décidai de partir pour un long voyage. Je ne pouvais plus rester au village à pleurer la perte simultanée d'un ami et d'un amour. J'espérais qu'un voyage me guérirait de ma tristesse.

Par manque de chance, je me fis presque immédiatement attaquer par un ours. Je lui lançai mon sac pour faire diversion avant de prendre mes jambes à mon cou et m'éloigner le plus vite possible de la Forêt de Brumecérule... pour tomber nez à nez avec un groupe de bandits. Ils me prirent tout ce qu'il me restait. J'étais à peine parti que j'étais déjà sans le sou.

Afin de gagner de l'argent, je trouvai du travail dans un élevage de moutons. Jamais je n'en avais tondu, mais ils étaient dociles et c'était de l'argent facilement gagné. Très vite je fus prêt à repartir.

La Porte de Solzrean, impressionnante à voir, est aussi haute qu'une montagne. Elle fut construite par les habitants du Trône du croissant en hommage à leur grand Roi Solzrean. Si les Nuiens avaient réussi à construire un bâtiment aussi imposant, il me semblait qu'ils étaient capables de tout.

Je commençai à escalader la Porte de Solzrean. Un des villageois me cria de redescendre immédiatement.

Mais je voulais atteindre le sommet.

Je glissai plusieurs fois et faillis mourir, mais je réussis.

Du haut de la Porte de Solzrean, un nouveau monde s'étalait devant moi. Là, le splendide joyau du Trône du croissant. Là, un océan ininterrompu de champs cultivés. Là encore, un aéronef si haut dans le ciel qu'il semblait effleurer les nuages. Cela faisait beaucoup pour quelqu'un qui n'avait jusqu'à présent jamais quitté Grandésir. Alors je me fis le serment de voir tout ce que le monde avait à offrir à mes yeux.

D'abord, je découvris ce dont j'avais toujours douté : la Rivière laiteuse méritait bien son nom. Je remontai son cours jusqu'à sa source pour en connaître la raison, mais fus bloqué par une chute d'eau. Il était impossible de gravir les abruptes falaises qui l'entouraient, mais peu m'importait : il était presque plus drôle d'inventer mes propres explications au mystère.

À Bourg-l'Auvent, dans les Collines de Lilyut, je vis enfin ma première Elfe. J'avais toujours entendu dire, bien que je ne fusse pas du tout prêt à le croire, qu'elles étaient plus belles que n'importe quelle Nuienne, y compris Rohna, qui était de loin la fille la plus jolie du village. Il se trouve pourtant qu'en faisant la rencontre de Barwen, je me souvenais déjà à peine du visage de Rohna.

Je voulais être avec elle. Je voulais être avec elle comme jamais je n'avais été avec Rohna. Mon voyage avait commencé sans but, mais peut-être ne faisais-je que suivre ma destinée. Peut-être était-il écrit que je rencontrerais un nouvel amour avec qui vivre ma vie. Peut-être que cet amour était Barwen.

J'avouai ma flamme à la pauvre Elfe. Elle en fut troublée, peut-être un peu dégoûtée et elle me rejeta. Un Nuien qu'elle connaissait à peine lui avouait son amour sans raison apparente ? J'eus de la chance qu'elle ne me transperçât pas de son épée.

D'abruptes montagnes enserrent les Collines de Lilyut de leur vigoureuse étreinte. Enneigées toute l'année, elles sont absolument magnifiques à regarder. Les voyageurs qui ne les ont jamais vues n'ont pas encore terminé leur voyage.

Au Château Ronbann, j'entendis une étrange rumeur au sujet d'une grotte située près d'une chute d'eau dans la montagne. À ce qu'on disait, elle détenait l'intégralité de la fortune des Ronbann. Il me fallut des semaines, mais je finis par trouver la caverne en question. La fortune qu'elle contenait ne se comptait pas en or, mais en statues de la déesse Nui. Naturellement, elles représentaient pour les Nuiens un trésor inestimable.

Les missionnaires de Dahuta prêchaient à tous les coins de rue. J'avais envie de rire aux éclats à chaque fois que je les voyais. Dahuta était la déesse de la mer et nous étions loin à l'intérieur des terres. Il s'agissait d'éleveurs et non de pêcheurs. Que pouvait bien leur apporter cette mystérieuse divinité marine ?

Je partis pour Vieux-pin et rencontrai un enfant terriblement malade en chemin. Il était si maigre qu'il n'avait plus que la peau sur les os. Je passai plusieurs jours à déposer du bouillon dans sa bouche vorace, cuiller après cuiller, et enfin il sembla reprendre quelques forces. Il s'appelait Kovin.

Le garçon m'apprit que Vieux-pin s'était fait attaquer par des orcs. La plupart des villageois, dont ses parents, avaient été tués. Le pauvre orphelin avait tenté de rejoindre le Château Ronbann, mais avait fini par s'écrouler de faim. Ayant grandi dans une ferme, il n'avait pas la moindre idée des plantes comestibles et était trop inexpérimenté pour attraper des proies.

Je donnai assez de nourriture à Kovin pour atteindre le château et continuai mon chemin jusqu'à la mine Ronbann. Elle était censée avoir été partiellement fermée, mais j'espérais trouver des morceaux de minerai à échanger contre quelques pièces. Au lieu de cela, je tombai sur un conseil secret des prêtres de Dahuta en train d'exécuter d'effrayants rituels.

Sans preuve absolue que leurs intentions étaient mauvaises, je laissai les prêtres à leur magie et me décidai à gravir les montagnes jusqu'à leur sommet le plus élevé. Il ne me semblait pas que cela eût déjà été accompli et je ne m'étais pas trouvé de meilleur but. Cela n'avait pas d'utilité, mais ce n'en serait pas moins un exploit.

Les montagnes étaient abruptes et recouvertes de glace. Je savais que j'aurais besoin de quelque équipement spécial, aussi je troquai mes dernières pièces d'or contre des habits de fourrure, des chaussures à clous, des gants d'escalade et un pic.

Mon ascension échoua lamentablement. Mes préparatifs avaient été largement insuffisants par rapport au froid paralysant et aux vents déchaînés qui régnaient là-haut. Toutefois, ce cuisant échec ne fit que renforcer ma détermination.

Retournant au pied de la montagne, je travaillai pendant un mois à la mine Ronbann dans le but de m'acheter un meilleur équipement. Je trouvai même un diamant dans la mine, mais décidai de le garder pour plus tard.

Cette fois, j'étais déterminé à vaincre la montagne. J'achetai des centaines de piques de fer trouées à leur extrémité, semblables à des aiguilles géantes, et me munis de la corde la plus longue et la plus solide que je pus trouver.

J'entamai ma seconde ascension. Je plantais les piques dans le flanc glacé et abrupt de la montagne et me hissais vers le haut, passant ma corde dans les trous de mes piques de manière à ne jamais tomber de haut. Plus je montais, plus respirer devenait pénible. Je me sentais privé d'air comme Kovin avait été privé de nourriture. J'imaginais mes poumons rétrécis comme des grains de raisin en plein soleil.

À environ deux cents mètres du sommet, je tombai à court de piques et de corde. Si près du but... mais je n'avais plus mon filet de sécurité. J'étais monté si haut que personne ne saurait jamais que je n'avais pas réussi, mais je ne pouvais descendre en prétendant avoir triomphé. Je pouvais tout risquer et tenter d'atteindre le pic. Et de toute façon, si l'aventure tournait court, je ne manquerais à personne.

Glacé par mon hésitation autant que par le froid, je réfléchis à ma vie. Le blizzard hurlait, formant une tornade de glace autour de moi. J'avais toujours été indécis. Dans les tavernes, je ne prenais jamais de dessert parce que je ne savais jamais lequel choisir. J'avais laissé Miles me prendre Rohna parce que j'avais toujours hésité à lui avouer mes sentiments.

Je n'avais pas l'intention de continuer comme ça. J'atteindrais le sommet ou mourrais en essayant, et si je parvenais à redescendre, je me ruerais dans la première taverne pour y commander son meilleur dessert.

J'avais toujours eu peur de l'échec, peur de faire le mauvais choix, des décisions les plus anodines aux plus importantes. À présent, je ne vivrais plus en lâche. À présent, je prendrais des décisions, m'y tiendrais, et tant pis pour les conséquences.

Jamais je ne perdrais à nouveau une femme comme Rohna.

C'était comme si un poids avait été enlevé de mes épaules. Je pilonnai la paroi montagneuse de mon marteau, frappant la glace lisse pour y creuser des prises sommaires pour mes mains et pour mes pieds. Je sentais à peine la piqûre de l'air glacial qui me ramonait les poumons.

Le reste de l'ascension fut facile. Une force dont je ne me savais pas capable me propulsa vers le haut et je parvins enfin à me traîner jusqu'au sommet. Mes genoux chancelèrent lorsque je me tins debout dans le vent aussi glacial que cinglant.

Je ne pouvais pas encore toucher le ciel, mais je voyais Nuia tout entière s'étendre sous mes yeux. Le continent semblait si petit vu d'ici. Tous les détails avaient disparu, remplacés par des taches de couleurs diverses qui se chevauchaient : verts, marron, rouges, bleus et toutes leurs nuances, comme un enfant malicieux les auraient peintes de ses doigts.

Les moments que je passai sur ce pic changèrent ma vie. Je compris à quel point j'étais petit et le peu de conséquences qu'auraient mes échecs. Alors autant vivre courageusement, sans hésitation. Je ne perdrais rien à essayer. Je pouvais même mourir en essayant.

Dès que je fus au pied de cette montagne et que je pus à nouveau sentir mes doigts et mes orteils, je repartis pour Bourg-l'Auvent. Je demanderais à nouveau Barwen en mariage. Je lui offrirais le diamant trouvé dans la mine Ronbann. J'avais conquis une montagne ; pourquoi pas son cœur ?

Barwen me rejeta encore. Et encore, et encore. Cinq autres fois au total. Les villageois avaient commencé à parier sur le nombre de ses refus. Apparemment, il n'était pas rare qu'un humain tombât amoureux de la première Elfe qu'il vît, mais la plupart "s'en remettaient" beaucoup plus vite. Je finis par comprendre que Barwen ne changerait jamais d'avis et que ce que je pouvais faire de plus courageux était de m'en aller et de trouver un nouvel amour. Je quittai le village.

Sur le chemin des Plaines de Rochaiguail, je fus capturé par les Voleurs barbe-noire. Ils me prirent mon diamant ainsi que mes deux derniers morceaux d'or. Pour ajouter l'insulte à la blessure, ils me passèrent à tabac et me dirent que je devais les remercier de ne pas m'avoir tué. J'avais tellement mal que je regrettais qu'ils ne l'aient pas fait, justement.

Je parvins à me traîner jusqu'à un camp de garde, à nouveau sans le sou. Le Capitaine, Brann, m'écouta me plaindre des voleurs, mais ne sembla pas avoir envie de les affronter. Peut-être l'avaient-ils acheté, l'incapable !

Quand j'eus assez récupéré pour partir, je vis comment les gardes vivaient dans ce camp : ils fainéantaient toute la journée, ne suivaient aucun entraînement et semblaient en mauvaise condition physique. Une "force" totalement indisciplinée. S'ils avaient essayé d'attaquer les Barbe-noire, une mort certaine les aurait attendus.

Je travaillai trois mois dans une carrière, économisant chaque sou pour pouvoir continuer de voyager. Je répartissais mon pécule dans cinq bourses différentes que je cachais à divers endroits de mon corps. Si je devais à nouveau me faire détrousser, pas sûr que les brigands les trouveraient toutes.

Je pensais arriver en un endroit merveilleux, mais les Plaines de Rochaiguail ne se révélèrent qu'un ensemble de terres désolées. Les vents de sable m'empêchaient d'ouvrir complètement les yeux. Le soleil m'écrasait et je sentais mon corps s'affaiblir. Après le froid de la montagne, j'avais oublié à quel point la chaleur pouvait être accablante.

Une tempête de sable m'enveloppa et je me perdis au-delà de tout espoir. Je me réfugiai sous une grande pierre, mais elle prit soudain vie ! C'était un imposant golem des sables. Il grogna et se précipita sur moi. Je hurlai et pris mes jambes à mon cou.

Je lui lançai le marteau qui m'avait servi pour mon ascension, mais il ne sembla même pas s'en rendre compte. Il pilonnait le sol de ses pieds de roche en avançant vers moi, insensible à la chaleur. Mon heure avait sonné. De toutes mes forces, je me hurlai : "Cours ! COURS !"

Dans sa colère, le golem avait réveillé certains de ses amis. Ils étaient cinq maintenant à me pourchasser. J'avais les jambes lourdes, mais je me forçais à les lancer en avant, dans une tentative aussi désespérée que maladroite de fuir.

C'est alors que mon corps m'abandonna. Je m'écroulai en un tas de chair et d'os sur le sable. Les golems approchaient. Tout en disant ma prière à Nui et m'apprêtant à faire sa rencontre, je pensai à Rohna et regrettai de ne pas lui avoir avoué ma flamme.

Il s'avéra que Nui ne désirait pas encore me rencontrer. Un chevalier brillant dans une authentique armure (comment avait-il fait pour la conserver si propre dans ce sable et cette poussière ?) surgit et fit voler en éclats chacun des golems. Quand le dernier tomba, je poussai un soupir et m'évanouis.

Lorsque je repris connaissance, une nuit noire et profonde était tombée. Un modeste feu de camp brûlait à côté de moi. Le chevalier, allongé de l'autre côté du feu, retira son heaume et je vis que c'était une femme. Elle me scrutait du regard sans la moindre émotion.

Je m'assis et m'approchai du feu comme pour me réchauffer les mains, mais ne souhaitant en fait que mieux observer son visage. Elle était belle. Pas simplement belle, mais d'une beauté frappante. Encore plus que Barwen. Ses cheveux soyeux flottaient au vent et ses lèvres formaient un bouton de rose au contour parfait. Elle était comme une silhouette échappée d'un rêve.

Lorsqu'elle m'avoua son nom, je le reconnus immédiatement : Marian Folvent. Il y avait trois familles nobles et puissantes à Marianople : les Noryette, les Trieste et les Folvent. Toutes trois appelèrent leurs filles Marian, et toutes trois luttaient pour les marier au Prince. Le chevalier qui se tenait devant moi serait peut-être un jour une Reine.

La nuit dans le désert était glaciale, et j'étais quelque peu gêné d'être assis en compagnie d'une jeune femme aussi étrange que belle. Bien que Dame Folvent semblât à peine me remarquer, j'étais profondément mal à l'aise.

Je lançai donc la conversation.

Je lui racontai ma vie. Mon enfance avec Rohna et Miles, mon départ de Grandésir suite à ma désillusion et ma périlleuse ascension de la montagne. J'évoquai même mes demandes en mariage à Barwen. Je lui dis tout.

Au début, Dame Folvent semblait à peine m'écouter. Elle se contentait de fourbir son épée, de contempler le ciel ou de fermer les yeux comme pour se reposer. Mais à mesure que je poursuivais mon récit, je me sentais capter son attention. Elle finit même par rire et faire preuve de surprise aux moments qui s'y prêtaient.

Lorsque j'eus fini, un long silence se fit. La lumière du feu dansait sur les traits délicats du visage de Marian, lui conférant tour à tour tous les tons d'un brun caramel. Enfin, elle prit la parole et me fit part de son histoire.

Depuis sa naissance, Dame Folvent avait été élevée pour devenir la prochaine Reine de Deux-couronnes. Son esprit aventurier l'avait amenée à résister à cette éducation, mais cela n'avait eu pour effet que d'inciter son entourage à restreindre davantage ses libertés. Elle finit par accepter son sort à une seule condition : apprendre à manier une épée.

Traditionnellement, les Reines recevaient effectivement une forme d'enseignement de défense, mais aussi loin qu'on s'en souvînt, il s'était toujours agi de magie. Aucune Reine n'avait jamais insisté pour devenir experte dans l'art de manier l'épée. Dame Folvent argumenta cependant que cela la distinguerait de ses rivales et la rendrait peut-être plus attirante aux yeux du Prince de la couronne.

Face à l'hésitation de sa famille, qui ne savait si elle devait l'obliger à apprendre la magie au risque de mettre en péril sa rencontre avec le Prince ou lui permettre d'apprendre l'art très masculin de manier l'épée, elle maintint sa demande pendant trois ans, et les Folvent cédèrent enfin : Dame Folvent deviendrait chevalier.

L'entraînement fut intense, mais Dame Folvent fit merveilleusement ses preuves. Elle vouait une passion sans égale pour l'épée. Bien que les femmes chevaliers ne fussent pas si rares, Marian en était la première de noble extraction.

Une fois adoubée, elle s'échappa du manoir familial par un passage secret et se mit en route pour Brumesable. Elle voulait rendre visite à une ancienne domestique avec laquelle elle avait grandi.

Dame Folvent avait affranchi Kate cinq ans auparavant. Kate s'était installée à Brumesable et avait épousé un jeune homme du nom de William. Marian était impatiente de l'entendre lui raconter sa vie en dehors de la prison qu'avait été le manoir pour elle.

J'accompagnai Marian dans son voyage à destination de Brumesable, qui se trouvait être un village beaucoup plus grand que je ne l'aurais pensé. Des centaines de Nuiens avaient apparemment élu domicile dans ce désert pour une raison qui m'échappait complètement. Ils devaient y voir une beauté que j'étais incapable de reconnaître.

Trouver Kate ne fut pas compliqué. Ayant vécu parmi les nobles, elle était bien connue dans le village. Elle était belle, mais profondément inquiète. Son fils unique, Martin, s'était fait enlever. Elle soupçonnait les Voleurs barbe-noire ou la Main rouge d'avoir commis cet enlèvement. Elle et son mari ne pouvaient espérer payer un jour la rançon si on la leur réclamait.

Ayant eu affaire aux Barbe-noire et à leur déloyauté, je m'empressai de les désigner coupables. Ils étaient plutôt coutumiers de ce genre de forfait et m'avaient traité assez brutalement pour que je les croie capables d'enlever un enfant. Dame Folvent promit à Kate que nous retrouverions Martin.

J'achetai une épée chez le forgeron le plus proche et annonçai à Dame Folvent que je l'accompagnais. Elle tenta de m'en dissuader : je n'avais ni l'expérience, ni l'armure nécessaires, mais j'insistai. Après mon serment de vivre courageusement, je ne pouvais rester les bras croisés à regarder les événements se dérouler.

Nous atteignîmes la Falaise de l'âme en peine, cachette présumée des Barbe-noire. Comme la rumeur l'affirmait, nous y trouvâmes un camp entouré de murs imposants. Au coucher du soleil, nous nous y immisçâmes.

Nous enlevâmes Jacob le Balafré, qui semblait être chez les Barbe-noire ce qui se rapprochait le plus d'un chef. Il était lourdement gardé, mais la façon qu'avait Marian de manier l'épée était comme un poème en mouvement. Les voleurs étaient si maladroits en comparaison qu'il me sembla qu'elle ne se donnait aucune peine.

Jacob le Balafré était un sale type, mais il s'avéra également être un lâche. Dès que Dame Folvent en eut fini avec ses hommes et pointé sa lame dans sa direction, il commença à supplier pour qu'on l'épargne. Quelques larmes s'échappèrent même de ses yeux. Marian l'interrogea sur l'enlèvement, chatouillant son cou de la pointe de son épée pour l'inciter à parler.

Selon Jacob, les Barbe-noire n'étaient autres que des fermiers et des marchands qui avaient entrepris des activités criminelles pour protester contre les impôts et la tyrannie de la noblesse. La plupart étaient des pères de famille et n'avaient aucune envie d'enlever un enfant qui n'aurait été qu'une bouche supplémentaire à nourrir. Ils savaient aussi pertinemment que les villageois ordinaires n'avaient pas de quoi payer une rançon.

L'homme était sûr que les membres de la Main rouge avaient commis l'enlèvement. Il dit qu'ils étaient connus pour enlever des enfants sur lesquels ils menaient d'effrayantes expériences de contrôle spirituel.

Je dus reconnaître que ces arguments étaient fondés, particulièrement en l'absence de demande de rançon. Ce n'était pas l'argent qui intéressait ceux qui avaient enlevé Martin, mais quelque chose de bien plus vil encore. Nous retournâmes à Brumesable pour partager ce que nous avions appris et réaffirmer notre détermination à ramener Martin.

Les membres de la Main rouge n'avaient rien à voir avec les Barbe-noire. Il s'agissait d'assassins de triste renommée qui, sous le couvert d'adorer Nui, n'étaient que des obsédés de mort et de l'Art des nécromants. Mais jamais Nui n'aurait admis les activités odieuses auxquelles se livraient la Main rouge.
Leur base se trouvait à l'extérieur du Château calciné, dans la Lande de Cendrepierre.

Dame Folvent déclara que nous atteindrions plus vite la Lande de Cendrepierre par bateau. Jamais je n'avais navigué, mais je m'habituai rapidement à la mer. Malheureusement, ce ne fut qu'après avoir vomi sur Dame Folvent, qui fut très compréhensive.

En chemin vers le Trône du croissant, où nous faisions halte pour approvisionnement, nous découvrîmes une base de la Main rouge en plein essor dans la Baie de Brillelune. Dame Folvent se faufila dans un de leurs bateaux et en captura le Capitaine.

Élevée pour être Reine, elle avait néanmoins un talent certain pour les opérations de choc.

Nous interrogeâmes le Capitaine, enfin surtout Dame Folvent. Il reconnut que les membres de la Main rouge emmenaient souvent des enfants aux Îles d'ivoire, puis leur faisait subir un lavage de cerveau pour leur faire rejoindre l'organisation. C'était sûrement là que Martin était détenu. Il donna même à Marian une liste d'autres enfants qui s'y trouvaient.

Au Trône du croissant, Dame Folvent rendit immédiatement visite à la Reine Ynys. J'émettais pour ma part quelques réserves, la Reine Ynys étant une sorcière notoire dont on disait qu'elle avait mille ans. Je craignais qu'elle ne nous transforme en grenouilles, mais fort heureusement elle nous refusa audience.

Au lieu de cela, nous rencontrâmes la Princesse Ellen. Le nom de Folvent ouvrait manifestement des portes. Dame Folvent me dit qu'elle savait que la sœur d'Ellen, Clonid, s'était fait enlever et qu'elle connaissait l'endroit où elle était retenue prisonnière. Marian demanda l'aide du Trône du croissant pour sauver les enfants.

Ellen était ravie. La raison qui avait poussé la Reine à nous refuser audience était son chagrin incontrôlable depuis l'enlèvement de Clonid. Notre proposition était la bienvenue pour la famille royale.

La Princesse Ellen nous aida immédiatement à nous assurer le concours des navires et des soldats du Duc Ronbann.

Je ne savais que penser de Ronbann. Nombre de ses sujets vivaient dans la pauvreté tandis que lui nageait dans l'opulence, mais il sembla plus qu'enthousiaste à nous fournir tout ce dont nous avions besoin dans notre quête. Un homme peut-il être à la fois sans cœur et généreux ?

Comme si Nui en personne nous avait bénis, la mer était recouverte d'un épais brouillard lorsque nous approchâmes des Îles d'ivoire, et les membres de la Main rouge ne purent nous voir arriver. Le Duc Ronbann, qui s'était joint à nous pour mener ses hommes, murmura que la Reine Ynys avait dû user de magie pour nous venir en aide.

La Main rouge n'était pas du tout prête à subir un assaut, et nous en vînmes facilement à bout. Les enfants avaient été drogués de façon à leur faire oublier leur vie, mais heureusement Martin se souvenait au moins de son nom. Nous le repérâmes parmi les autres presque immédiatement.

Par malheur, la Princesse Clonid n'était nulle part. Ayant recours une fois de plus à ses talents aigus d'interrogatrice, Dame Folvent apprit que Clonid était détenue au Château calciné où elle subissait un traitement "spécial". Je frissonnai rien qu'à imaginer en quoi il consistait. Le Duc Ronbann nous demanda de raccompagner les enfants au Trône du croissant pendant qu'il se chargeait de sauver Clonid. Nous partîmes immédiatement.

Il nous fallut un jour pour regagner le Trône du croissant... mais le Duc Ronbann ne parvint pas jusqu'à Clonid. La plupart de ses hommes furent massacrés par la Main rouge dès qu'ils entrèrent au Château calciné. Le Duc en personne fut gravement blessé et échappa de très peu au trépas.

Le cœur lourd, nous quittâmes la Princesse Ellen et ramenâmes Martin à Brumesable.

Après Brumesable, nous poussâmes jusqu'à Marianople, puis jusqu'aux Plaines de Grain-d'aurore. Dame Folvent m'offrit un triste sourire, puis me dit qu'il était temps pour elle de partir. Elle devait revenir à ses obligations de noble. Elle ne pouvait éternellement s'y dérober au nom de l'aventure.

Je n'avais jamais vu d'yeux remplis de tant de regrets. Je lui proposai de rejoindre Haranya en ma compagnie, où nous vivrions librement, en aventuriers. Un jour nous pourrions même revenir pour tenter de sauver Clonid.

Des larmes coulèrent sur le visage de Dame Folvent, mais elle fit non de la tête. Elle ne pouvait entièrement trahir sa famille, qui lui avait tant donné.

Je lui demandai de m'attendre un an. Alors je reviendrais à elle flanqué d'un titre aussi important que le sien. Je resterais à ses côtés et nous ferions ce que bon nous semblerait. Un sourire contrit aux lèvres, Marian acquiesça. Je voyais bien qu'elle doutait que j'y arrive.

Je n'avais pas le sang bleu, mais je connaissais assez l'histoire pour savoir que ça ne m'empêchait pas de devenir membre d'une famille royale. À une époque lointaine, il suffisait de triompher du labyrinthe situé sous la ville pour devenir Roi. Tout le monde pouvait essayer, ce qui voulait dire que tout le monde pouvait prétendre au trône. Il fallait juste le minimum d'intelligence et de force pour survivre.

J'avais vaincu cette montagne et j'avais appris beaucoup en me battant aux côtés de Marian. J'avais vécu échecs et triomphes. J'étais maintenant prêt. Prêt à accomplir mon destin.
Lilyna
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Message par Lilyna Sam 13 Déc - 22:49

Le prétentieux fondateur du royaume était si sûr de la viabilité de sa création qu'il la nomma Île éternelle. Elle est aujourd'hui en train de s'effondrer, totalement ravagée par un violent tsunami.

Spectateurs de l'écroulement de ses murs si précieux sous les assauts d'immenses vagues, ses habitants s'étreignent tout en tremblant. Leurs visages sont livides et remplis de terreur. Ils savent que c'est la fin.

C'est la vengeance que je préparais depuis si longtemps. La vengeance que mes ennemis n'ont jamais vue venir.

Bientôt les vagues m'emporteront avec tout le reste, mais ça en aura valu la peine. L'île recouverte, ce royaume ne sera plus qu'une immense étendue d'eau.

Je sais que l'avenir voudra savoir pourquoi j'ai tué des centaines d'innocents pour une vengeance personnelle. Pour être honnête, cette question me travaille en ce moment même.

Ma vengeance est-elle justifiée ? La vengeance est-elle une raison suffisante pour noyer tout un royaume dans la mer ?

Une fois que j'ai eu décidé que la vengeance était le chemin sur lequel j'allais m'engager, j'ai passé beaucoup plus de temps à chercher à me justifier qu'à m'en donner les moyens.

Méditez plutôt : les étoiles ne brillent que dans l'obscurité de la nuit et non à la lumière du jour. Les ténèbres transforment l'étoile la plus petite en un joyau scintillant. Oscar, mon père, était comme cela : une brillante étoile dans un ciel nocturne.

Il était bon, mais jamais on ne l'aurait pris pour un héros. Néanmoins, il brillait. Tous ceux qui l'entouraient étaient moins bons que lui.

Père était l'un des quatre marchands les plus prospères de l'Île éternelle. Il avait amassé une fortune considérable en négociant des échanges entre Nuia et Haranya.

Tandis que la plupart de ses rivaux héritaient de la fortune de leurs parents, mon père était un autodidacte. Il commença sa carrière en tant que garçon de courses pour une guilde de marchands et travailla si dur pour s'élever dans ses rangs qu'il finit par obtenir le respect de ses pairs comme de ses clients.

Les riches se divisent en deux catégories : les radins qui ne se préoccupent que d'eux-mêmes et les bienfaisants qui partagent leurs profits avec leur entourage.

Naturellement, les employés des bienfaisants ont tendance à travailler plus, enrichissant ainsi davantage leurs employeurs. Mais la plupart des riches sont des radins. Mon père, quant à lui, réussit parce qu'il était bienfaisant.

Comme je l'ai dit plus haut : mon père, une brillante étoile dans le ciel nocturne.

Il était si populaire que notre maison accueillait sans cesse des invités. Elle comportait huit chambres et il était rare que l'une d'entre elles fût inoccupée. Les invités de mon père ne tarissaient pas d'éloges à son sujet et allaient même jusqu'à affirmer qu'ils se sacrifieraient en son nom.

Père ne remettait jamais en cause leur fidélité ni leur dévouement. Moi non plus. Mais, comme l'eau dans le sable, tout cela n'était qu'un mirage.

Le Roi de l'île, Altoras, avait trois fils. L'aîné, le Prince Urdigon, était un grand chef auquel la marine, qu'il commandait, vouait un culte. Le second fils du Roi, le Prince Arkazan, s'était très tôt consacré à la politique et possédait de nombreux partisans à la cour. Le benjamin, le Prince Valtican, n'était rien comparé à ses frères. Du bon grain il n'était que l'ivraie.

Tous les nobles et les courtisans, et même les plus humbles fermiers et aubergistes de l'île étaient sûrs qu'Urdigon ou Arkazan hériterait du trône.

Je venais d'avoir quinze ans lorsque le Prince Valtican vint voir mon père pour lui demander son soutien dans l'accession au trône. Père déclina la demande poliment mais fermement. Il estimait que les marchands devaient s'abstenir de toute implication politique pour le bien de leur pays et de leurs affaires.

Le Prince Valtican partit sans protester et nous pensâmes que l'affaire était close.

En ce qui semblait être un témoignage de sa bonne volonté, le Prince invita ma famille à un bal en son palais. Ma sœur et moi étions aux anges.

Ma sœur passa une semaine entière à trouver la robe parfaite. Moi-même je passai une pleine journée à trouver le pourpoint et les braies de rigueur. Nous n'avions aucun lien avec la noblesse et nous voulions nous montrer à la hauteur du grand honneur qui nous était fait.

Jamais nous n'étions allés à un bal, ne serait-ce que celui d'un nobliau de second plan. Alors le palais du Prince ? Le fils du Roi en personne ? C'était comme un rêve que nous faisions éveillés. Pour ma sœur, c'était même un conte de Fées.

Il s'avéra que malgré nos habits soigneusement choisis, tous les nobles du bal froncèrent les sourcils en nous voyant. Nous étions les seuls roturiers et ils ne nous considéraient guère mieux que des paysans.

Naturellement, le Prince Valtican était au centre de l'attention. Tout le monde voulait lui parler ou au moins se tenir à côté de lui. Quant à ma sœur et à moi, on nous évitait. Personne ne semblait même vouloir poser les yeux sur nous.

Tout excitée qu'avait été ma sœur à l'idée de venir, elle se sentait maintenant déçue et honteuse.

Face à tant de froideur et de mauvaise volonté, quoi de plus normal que de placer sa main dans la première qu'on vous tend ? S'il s'agit en plus de celle de la personne autour de laquelle tous les invités gravitent, elle devient même irrésistible.

Le Prince vit comment ma sœur et moi étions traités et se glissa immédiatement à nos côtés. Il nous parla, nous sourit et sembla être la première personne qui nous vît vraiment. Nous ne ressentions qu'une immense gratitude.

À mesure que le bal continuait, le Prince semblait ne jamais s'éloigner de ma sœur. Cela fit sensation auprès des autres invités. Elle n'était plus un pion à ignorer, mais une chanceuse qui suscitait les jalousies.

La nuit prit fin, mais pas les attentions du Prince Valtican. Il prit l'habitude d'inviter ma sœur au palais à chacun des bals qu'il donnait. Ainsi qu'aux joutes. Et même aux simples thés.

Un Prince fut le premier grand amour de ma sœur.

Lorsque ma sœur accepta la demande de fiançailles du Prince, Valtican dit qu'il ne voulait pas de dot. Il déclara vouloir en échange la confiance et la loyauté sans faille de son futur beau-père. Il demanda humblement une nouvelle fois à mon père son soutien dans sa tentative d'accession au trône. À contrecœur mon père mit de côté ses principes et accepta.

Mettre un Prince sur le trône était une entreprise coûteuse et les coffres de mon père commencèrent à se vider. Les poches du Prince Valtican semblaient quant à elles déborder. Jouant sur la fortune et les relations de mon père, il se constitua un groupe de partisans.

Les marchands, hommes d'affaires et autres personnages de petit pouvoir qui n'étaient cependant pas assez riches pour graisser la patte d'Urdigon et d'Arkazan, affluèrent aux côtés du benjamin du Roi.

Quelle est la différence entre un accident et un crime ? Les accidents arrivent par hasard, tandis que la plupart des crimes sont soigneusement prémédités.

Lorsque le Prince Urdigon et le Prince Arkazan furent tués, leurs morts avaient tout l'air d'accidents. Le Prince Valtican lui-même fut grièvement blessé mais ma sœur, qui par dévouement ne l'avait pas quitté depuis l'annonce des fiançailles, tomba dans les bras de Nui avec ses frères.

Ma sœur attendait un enfant.

Les trois Princes avaient apparemment emmené leurs fiancées à un pique-nique de chasse en compagnie d'un troupeau de gentils nobliaux, ignorant qu'un groupe d'assassins guettait leur arrivée. Beaucoup furent tués, dont Urdigon, Arkazan, leur fiancées et ma sœur.

L'enquête qui suivit mena à un espion d'Ynystere, qui s'avéra être l'un des nombreux invités en séjour chez mon père. Il avoua sa responsabilité dans la mort des Princes, mais affirma l'avoir commis sur ordre de mon père afin de faire asseoir l'enfant à naître de ma sœur sur le trône. Mon père passa immédiatement du statut de pilier de la communauté à celui de traître le plus infâme.

Je n'oublierai jamais le choc et l'horreur qu'afficha son visage lorsqu'il entendit les accusations prononcées contre lui.

Alors que la Garde royale faisait irruption chez nous pour l'arrêter, il me fit sortir en douce. Il plaça un collier du nom de Méditation d'Aranzeb dans la paume de ma main et me demanda de l'apporter à son ami en Ynystere. Je le suppliai de fuir avec moi, mais il refusa.

Il savait que fuir mettrait ceux qu'il aimait en danger. Il décida de se sacrifier dans l'espoir que le reste de sa famille serait épargné.

Mon père fut exécuté en place publique sous le regard de tous les sujets du royaume. Les gens qu'il avait aidés, les gens à qui il avait offert le gîte et le couvert sans jamais poser la moindre question, les gens qui avaient assisté à son mariage... tous firent la queue pour cracher sur son cadavre.

Personne ne ressentait la moindre pitié et personne ne remettait en cause le verdict ses pairs, ses amis, ses domestiques... personne ne versa la moindre larme.

Après l'exécution de mon père, le Roi Altoras proclama le Prince Valtican héritier de la couronne. La première chose que fit ce dernier fut de placer une prime astronomique sur ma tête. De simples informations sur le lieu où je me trouvais auraient suffi à enrichir un homme au-delà de toutes ses espérances.

Il y avait des gardes partout et je faillis me faire prendre une douzaine de fois. Je finis par réussir à embarquer sur un bateau à destination d'Ynystere. Dès qu'il eut quitté le port, je m'écroulai de chagrin. Mon père et ma sœur étaient morts tous les deux.

Je reconnus un passager, Doya, ancien invité de la maison familiale. Il me remarqua avant que je puisse me cacher et me serra dans ses bras de toute sa sympathie. Enfin un visage amical. Nous bûmes une bouteille de vin en mémoire de mon père et je m'évanouis.

Lorsque je m'éveillai, j'étais ligoté de la tête aux pieds. Doya m'avait trahi, aveuglé par la prime pour ma capture. Ses larmes n'avaient été que des mensonges.

On me jeta aux pieds du Prince Valtican, qui sourit comme une hyène. "Ça faisait un bail," dit-il pour me provoquer. "Je voulais juste te remercier. Sans ton père, je ne serais jamais devenu l'héritier de la couronne et maintenant, grâce à toi, je vais être Roi. Tu es sur le point de te faire exécuter pour le meurtre du Roi Altoras."

Toutes les tragédies vécues par ma famille avaient donc été façonnées par cet homme vil et exécrable. Cette pensée me laissa pantelant.

Ligoté et bâillonné dans un coin sombre, je ne pus qu'assister au meurtre du Roi par le Prince Valtican. Son visage s'empourpra d'excitation au moment où il étala du sang sur mon visage et sur mes mains.

"Le moment est venu pour toi de rejoindre ta sœur," dit-il en riant alors qu'il me retirait mon bâillon. "Pourquoi ?" le suppliai-je. "Elle ne t'empêchait en rien de prendre le trône. Pourquoi l'avoir tuée ?" Le Prince se tordit de rire et me gifla. "Tu croyais que je laisserais une roturière mettre bas ma royale descendance ? Blasphème ! Le noble sang de l'Île éternelle doit rester pur."

Je sentis le sang gonfler mes yeux de colère et de chagrin. Des larmes de sang strièrent mon visage puis roulèrent sur mon menton avant d'inonder ma poitrine.

Quelques gouttes souillèrent la Méditation d'Aranzeb, le collier que mon père m'avait remis et que je cachais sous ma chemise de coton.

Au moment où les larmes touchèrent l'amulette, un trait de lumière aveuglant jaillit de sa surface.

Je fus immédiatement téléporté à un endroit où je n'étais jamais allé. Je découvris qu'il s'agissait du laboratoire d'Aranzeb, où le grand Mage avait recherché de nouveaux sorts. Les larmes de sang que j'avais versées avaient activé un sort de téléportation qu'il avait enfermé dans son collier.

D'une étrange manière, ma sœur et mon père m'avaient sauvé : c'était en pensant à eux que je m'étais mis à pleurer. Je jurai sur-le-champ de venger ma famille du Prince Valtican quoi qu'il en coûtât.

Le laboratoire de magie était plein à craquer de grimoires, de sorts, de théories ésotériques et d'autres écrits de cette sorte. Je les dévorai comme un mort de faim. Il était évident que leur enseignement représentait mon seul espoir de vengeance.

J'étudiai la magie de ces volumes poussiéreux pendant 20 ans. Je ne fus pas encore satisfait lorsque je les maîtrisai tous. Je me lançai alors dans la création de mes propres sorts, qui furent bientôt assez nombreux pour constituer ma propre bibliothèque.

J'aurais pu accomplir ma vengeance à tout moment, mais tel le morceau de fromage d'un piège à souris, j'attendis. Je voulais la mort de Valtican, mais au-delà de ça je souhaitais sa souffrance. Je voulais qu'il comprît la peine de perdre ses enfants. Des enfants adultes qu'il avait aimés tout au long de leurs vies.

Un jour enfin, je décidai que le moment était venu. Usant de magie, je modifiai mon apparence et ma voix et retournai sur l'Île éternelle. J'étais enfin de retour chez moi, mais sans aucune joie au cœur. Sans ma famille, j'étais comme un étranger dans l'île. Personne ne me connaissait et je ne connaissais plus personne.

Je compris qu'en perdant ma famille, j'avais également perdu ma patrie.

Le Prince Valtican était désormais Roi, naturellement. Il avait neuf femmes et quinze enfants. Je décidai de les tuer un par un pour faire durer son supplice.

Je demandai audience au Roi Valtican et lui proposai fidélité et services. Mes talents dépassaient aisément ceux des autres Mages de l'île et je fus immédiatement appelé à sa cour. Valtican jubilait à l'idée d'avoir autant de pouvoir à ses côtés, mais il se méfait tout de même de moi.

Pendant trois ans, je répondis sans sourciller à ses moindres désirs jusqu'à ce qu'il daignât m'accorder sa confiance et fus nommé Premier mage de la cour.

Le monde subconscient de l'homme, peuplé d'innombrables désirs égoïstes grouillant comme autant de vers, est profondément laid. Nous sommes éduqués à transcender notre subconscient, à le contrôler et à cacher nos pensées et nos vœux les plus intimes. L'étiquette et les bonnes manières sont nos fouets et nos harnais.

Un dangereux sort nommé Miroir de vérité permet à son lanceur d'exposer son subconscient afin de dépasser ses limites. Les ascètes l'utilisent dans le cadre de leur entraînement. La plupart des gens sont submergés par la culpabilité lorsqu'ils doivent faire face à leur laideur intérieure. En acceptant cette vérité, ils peuvent parvenir au développement spirituel. Dans le cas contraire, ils deviennent fous ou se suicident.

Je lançai ce sort sur les enfants du Roi à leur insu. Comme la plupart des gens touchés par le Miroir de vérité, ils ne purent faire face à la vile et brutale réalité de leurs pensées et désirs subconscients. Ce fut un spectacle horriblement délicieux. Cette vérité était célèbre chez les Mages pour provoquer la folie des victimes, qui allaient jusqu'à se tuer. Que feraient les enfants du Roi ?

Les Princes et Princesses furent si bouleversés par les ténèbres qu'ils abritaient dans leur cœur qu'ils refusèrent de quitter leurs chambres. Mais leur esprit demeurait intact. Leur supplice était insuffisant.

Je leur écris une lettre décrivant dans les moindres détails les actes ignobles auxquels leur père avait eu recours pour accéder au trône, les horribles méthodes qu'il avait employées pour leur assurer un avenir, puis j'attendis.

La culpabilité que j'avais engendrée n'aurait pas pu être plus satisfaisante. Leurs réactions me stupéfièrent. Ma vengeance venait de commencer.

Cinq des enfants royaux comprirent à quel point leur famille était indigne de régner et se suicidèrent sur-le-champ. Ils ne se sentaient plus capables de jouir de leur richesse et de leurs privilèges en sachant que leur père avait massacré sa propre famille pour accéder au trône.

L'héritier de la couronne, Burkan, fut parmi les plus dévastés... et parmi les suicidés. C'était merveilleux. Troublé, comme on pouvait le prévoir, par la perte soudaine de ses héritiers, Valtican ordonna une enquête.

Naturellement, il prit vite connaissance de ma lettre, mais... les détails qu'elle fournissait sur ses crimes atroces provoquèrent-ils la moindre trace de regret dans son âme ? Le poussèrent-ils à réexaminer sa situation ? À ne pas simplement pleurer la mort de ses enfants, mais la noirceur de son cœur ?

Bien sûr que non. Il ordonna simplement la capture de l'auteur de la lettre : moi. Des affiches de mon visage d'origine, celui qu'il connaissait 20 ans plus tôt, furent placardées sur toute l'île.

Je publiai ma lettre sous forme de livre afin qu'elle circulât plus facilement parmi la population. Elle fit immédiatement sensation. Tout le monde pensait que j'avais été exécuté 20 ans plus tôt pour avoir assassiné le dernier Roi, mais j'étais là, toujours en vie, clamant mon innocence et pointant Valtican du doigt.

Je m'attendais à ce qu'une foule armée de torches et de fourches vînt s'emparer du château et porter Valtican à la potence. Je n'aurais pas pu me tromper davantage.

Le peuple était horrifié de ses péchés impardonnables, mais au-delà de ça il faisait preuve de fascination et de complaisance. Mon livre n'avait réussi qu'à faire paraître Valtican plus dangereux et séduisant.

Pour la plupart, les gens étaient heureux de leurs vies. Ils n'avaient aucun désir de renverser la famille royale, qui n'avait que peu d'impact sur leurs activités quotidiennes au-delà de la fascination et du scandale qu'elle suscitait.

Bien que tous admissent que Valtican avait commis d'effroyables atrocités, leur priorité n'était pas la justice, mais la récolte du blé, le tissage d'un tapis à vendre au marché, la tonte des moutons, la fabrication du pain et le barattage de la crème.

Je n'en revenais pas. Tous ces gens qui avaient chanté les louanges de mon père, dîné à sa table, dormi sous son toit. Ils connaissaient la tragédie que Valtican avait fait s'abattre sur ma famille et ils étaient toujours de son côté.

Certains osaient même accuser mon père de cupidité et d'avoir exploité l'économie du royaume. Ils remerciaient Valtican de l'avoir tué. C'était exaspérant.

J'avais cependant un soutien, et de poids : le benjamin de Valtican, Riesig. Il implorait son père de restaurer l'honneur de ma famille et de m'innocenter. Si Valtican n'avait pas l'intention d'abdiquer, c'était là le moins qu'il pouvait faire.

C'était mon tour d'être bouleversé. Le royaume tournait toujours le dos à ma famille, mais le fils de mon ennemi juré voulait m'aider.

Malgré ma déception concernant mes compatriotes, le temps prouva la réussite du Miroir de vérité. Tous les enfants du Roi, à l'exception de Riesig, étaient morts ou irréversiblement fous. Le reste de la cour devint terrifié du caractère imprévisible des survivants. Ils pouvaient soudain se mettre à manger des excréments de chien, à trancher la tête d'un domestique innocent ou à éclater en sanglots à la simple vue d'une fleur. Voilà qui était glorieux.

Confortablement déguisé par le nouveau visage que je m'étais fabriqué, je rendis visite aux enfants royaux. Je leur rappelai que depuis la mort de leur frère Burkan, le titre d'héritier de la couronne était vacant.

Ils feignirent de ne pas s'y intéresser jusqu'à mon départ, puis ils s'entretuèrent presque immédiatement après. Le château était en proie au chaos.

Meurtrier de son père et de ses frères pour accéder au trône, je me demandais comment Valtican réagirait en voyant ses enfants reproduire l'histoire. S'il les aimait vraiment, les regarder se battre, s'entretuer et se trahir lui déchirerait certainement le cœur. Si ce n'était pas le cas, il s'inquiéterait davantage de sa propre sécurité. Je l'imaginais paranoïaque, recroquevillé sur son trône, voyant des assassins dans tous les coins sombres.

Quoi qu'il adviendrait, il souffrirait. L'idée de son désespoir me réjouissait.

Le chaos qui régnait au château se répandit aux quatre coins du royaume lorsque nobles et roturiers durent choisir leur camp... bien que ce fût à distance, bien sûr. Riesig était le seul enfant royal qui refusât d'y prendre part.

Bientôt, la guerre privée pour le titre d'héritier de la couronne devint une guerre civile qui n'opposait plus seulement frères et sœurs, mais factions entre elles. Les victimes moururent par centaines.

Beaucoup d'entre elles le méritaient. Elles avaient condamné mon père et tourné le dos à la justice. Toutefois, nombre des victimes n'avaient jamais entendu parler de ma famille.

Les troubles étaient si dévorants et répandus que les membres de la famille royale ne se donnaient même plus la peine de cacher leurs intentions. Toutes les tentatives de discrétion s'évanouissaient au profit de la brutalité. Des assassins se ruaient sur les Princes et les Princesses en plein jour. Les ragouts étaient si outrageusement empoisonnés qu'ils puaient la pourriture et semblaient déborder de vase moisie. Les bombes artisanales confectionnées à la va-vite étaient grossièrement dissimulées derrière les tapisseries.

Tout au long de cette période, Valtican était resté étrangement tranquille. Il finit toutefois par mobiliser une armée et arrêter tous les enfants qu'il lui restait, à l'exception de Riesig, et les jeta au cachot.

Valtican réprimanda ses enfants pour le chaos qu'ils avaient provoqué, puis il les déchut de leurs titres. Derrière les barreaux, les enfants ourdirent une révolte contre le Roi. Ils décidèrent de le tuer et de lui prendre le trône... exactement comme il l'avait fait vingt ans plus tôt.

Utilisant des litres entiers de potions d'invisibilité, j'errais dans le château en secret et gardais un œil sur tous les complots en compétition. Je n'arrivais pas à savoir ce que je préférais : voir les enfants tuer leur père ou voir le père tuer ses rejetons.

Aux yeux du divin, aucune des possibilités n'était pardonnable. J'étais l'instigateur d'un parricide ou d'un filicide. Au vu de tout ce qui était arrivé, était-ce encore justifié ? Étais-je devenu un abominable démon ?

Au château, je trouvai un portrait de ma sœur. Il avait dû être achevé quelques jours avant sa mort. Elle avait l'air si heureuse... elle rayonnait presque.

Je me rappelai le bébé qu'elle avait porté en elle. Mon cœur s'endurcit.

Je savais que j'abandonnai mon humanité pour la vengeance, mais cela ne m'importait plus. Ma douleur était trop grande.

Je décidai enfin que je préférais que Valtican tuât ses enfants plutôt que l'inverse. J'obtins une audience privée avec le Roi et lui révélai les plans de révolte de ses enfants à son encontre.

La rage et la douleur déformèrent son visage au point d'être méconnaissable.

Toutefois, il était tiraillé. Bien qu'ils complotassent maintenant pour le tuer, ils n'en étaient pas moins ses enfants. Quelles sanctions supplémentaires pourrait-il prendre à leur encontre ?

Je lui rappelai gentiment que son benjamin, Riesig, n'avait pas participé au complot, ni même à la guerre pour le titre d'héritier. Si Valtican refusait d'exécuter les autres, ils s'en prendraient peut-être à Riesig, qui était après tout le nouvel héritier de la couronne par défaut. Valtican avait déchu les autres enfants de leurs droits après les avoir arrêtés à cause de la guerre.

Riesig avait toujours été le favori de Valtican, même avant le chaos. L'idée que ses autres enfants pussent se liguer contre lui était insoutenable. Valtican ordonna l'exécution immédiate de ses enfants rebelles.

En définitive, telle était mon œuvre. J'avais convaincu un père de tuer ses enfants.

Riesig implora qu'on épargne sa fratrie. Il dit qu'ils étaient devenus fous : qu'ils ne pouvaient être considérés comme responsables de leurs actes. Ses protestations n'eurent pour effet que de renforcer la détermination de Valtican : sacrifier le reste pour préserver Riesig.

Neuf Princes et Princesses furent exécutés pour trahison, ainsi que huit cents de leurs partisans pour le même motif.

Ma vengeance avait déjà pris bien plus de vies que les actes qui l'avaient provoquée.

Les femmes de Valtican furent indignées par la mort de leurs enfants. Elles l'abandonnèrent et regagnèrent leurs terres natales. Même le reste de la cour le traitait différemment : sans plus de respect mais avec plus de crainte. Personne n'osait croiser son regard, dans lequel luisait maintenant quelque trace de folie. Seuls Riesig et moi étions à l'aise en sa compagnie.

Isolé du reste de la cour, Valtican commença de plus en plus à s'appuyer sur moi. Après tout, n'étais-je pas son fidèle Premier mage ?

Il fit de moi le précepteur officiel de Riesig. Un rire jubilatoire s'éleva dans mon cœur. Moi qui avais causé tant d'angoisse à Valtican, il me confiait maintenant l'éducation du seul fils qu'il lui restait. Après Valtican et Riesig, j'étais l'homme le plus puissant sur l'Île éternelle.

J'aurais enfin dû être heureux. Je m'étais vengé. J'étais devenu puissant. Et pourtant le vide dans mon cœur ne cessait de grandir.

Riesig avait regardé le Miroir de vérité et en était sorti indemne. Cela l'encourageait d'ailleurs à atteindre des sommets de bonté qu'il n'avait jamais atteints. Il ne se maudissait pas pour ce qu'il était devenu ; il cherchait juste à devenir quelqu'un de meilleur.

Il était humble et attentionné envers autrui. Il était bon et généreux. Il souriait facilement et jamais ne s'emportait.

Je le détestais. Les gens commençaient à l'appeler "Maître Riesig." Chaque fois que j'entendais ça, mes lèvres se tordaient instinctivement en un rictus convulsé.

Chaque fois que Riesig était bon envers moi, ce qui était souvent le cas, je me sentais m'adoucir. Je me mis à psalmodier qu'il était le fils de mon ennemi. Chaque fois que j'étais seul, j'exprimais ma haine à voix haute, en public, je la psalmodiais sous ma barbe.

Il était évident que le Prince Riesig deviendrait un Roi sage et bienveillant. Il préserverait la paix et la prospérité du royaume. Mais il était mon ennemi. Tous les habitants de cette île maudite étaient mes ennemis. Non seulement ils avaient refusé de disculper mon père, mais ils l'avaient maudit, applaudissant la mort d'un innocent ! Cela faisait bouillir mon sang.

Et pourtant... un sentiment de culpabilité me tenaillait, me démangeait l'épiderme comme une colonie de puces sur le dos d'un cabot. Je n'étais pas vraiment un vil démon. J'étais un homme. Et que cela me plût ou non, j'avais encore un cœur.

J'avais espéré rayer l'Île éternelle de la surface du monde. Telle serait l'apothéose de ma vengeance : engloutir cette île sous les flots, la faire disparaître de toute carte, de toute mémoire.

J'avais décidé que le meilleur moyen était de faire subir à Valtican la furie de Dahuta, déesse de la mer. Je construisis un autel en son nom, que je décorai de coquillages et de varech... mais je ne trouvai pas la force de prier.

Au fond de moi, je savais que je n'avais pas besoin de sacrifier toute l'île pour me venger. Au fond de moi, je voulais tout arrêter.

Pourtant, sans que je m'en aperçoive, Dahuta avait déjà entendu mes prières et avait accédé à mes demandes non formulées.

Riesig s'était épris d'une mystérieuse femme. Il avait vu le reflet de son visage dans l'eau et l'avait entendue murmurer sans cesse un nom étranger : "Aranzeb", qui dansait dans ses oreilles comme un chant.

Il était tombé amoureux d'une vision de la déesse Dahuta.

Malade d'amour, le Prince était cloué au lit. De célèbres docteurs et prêtres du monde entier vinrent à son chevet et firent de grandes promesses de remèdes et de panacées... mais ses symptômes persistèrent.

Ma vengeance approchait. Je n'avais d'autre choix que de la poursuivre jusqu'au bout.

J'étais le Mage le plus puissant du royaume. J'avais été la première personne à qui Valtican avait demandé de soigner son fils. Je lui dis qu'il fallait que je recherche la cause de son mal.

J'allai ensuite voir le Roi et lui annonçai que son fils souffrait d'une malédiction de la mer. Je dis au Roi de vaincre la mer une fois pour toutes : de la conquérir et de l'intégrer à son royaume. Je lui dis de tuer tous les poissons, toutes les baleines, toutes les sirènes jusqu'à ce que les flots en deviennent rouges.

Valtican ne douta pas de mes paroles. Il mobilisa tous les hommes et les enfants de l'île, leur ordonnant d'abandonner le blé et les moutons des champs pour aller tuer les poissons, les baleines et les sirènes du matin au soir. La grande bleue se teinta de rouge. L'air était rempli d'une odeur de poisson pourri.

Valtican se tenait sur une falaise surplombant les vagues fracassantes de la couleur du sang. "Je suis souverain de la terre et de la mer ! cria-t-il. Prends garde à mon pouvoir et disparais, sorcière marine ! Ton royaume m'appartient !"

Avant que ne s'évanouisse l'écho de ses cris, un rire musical emplit l'air. Une voix chantante retentit, semblant s'élever directement des eaux carmin.

"Ton arrogance est stupéfiante, humain, répondit Dahuta. Comment oses-tu défier une déesse ? L'histoire aura bientôt oublié ton existence et ton île deviendra ta tombe marine."

Valtican en fut terrifié. Je vis ses genoux trembler sous sa robe. Il me supplia de le conseiller.

Je dis que la déesse de la mer refusait de reconnaître son autorité incontestable. Il n'avait d'autre choix que de la forcer à se rendre.

Le Roi me prit au mot. Il détruisit tous les sanctuaires, temples et autels dédiés à Dahuta. Il fit décapiter tous ses prêtres, coudre des têtes de poisson sur les cous dégoulinants et jeter les cadavres à la mer.

Il fut dès lors impossible de rebrousser chemin. La furie de Dahuta serait sans limite. Elle recouvrirait l'île de ses flots et la ferait oublier à tout jamais.

Et c'était de ma faute. Ce n'est pas Valtican qui avait pris ces décisions ; il n'avait fait que suivre mes conseils. Mes belles paroles allaient éradiquer son royaume tout entier. Quelle gloire.

Une terrible tempête s'abattit. La mer était déchaînée. Des milliers d'ombres sortirent sournoisement de l'eau et glissèrent sur le rivage, laissant un sillage sanglant de torture et de mort derrière elles.

Tout comme Valtican avait fait virer la mer au rouge, ces esclaves maléfiques recouvrirent la terre de sang. Partout où vous mettiez les pieds s'étalait une boue cramoisie qui s'agglutinait autour des chevilles, comme pour vous menacer de vous enterrer.

Valtican était stupéfait et horrifié. Sans voix, il se tourna vers moi.

Un sourire démoniaque décomposa mon visage. Je retirai enfin le charme que j'avais plaqué sur mon visage pour déguiser mes traits et le Roi vit alors qui j'étais : le fils de la famille qu'il avait si facilement détruite quelques décennies plus tôt.

Valtican me reconnut tout de suite. Sa voix trembla de rage en maudissant mon nom : Alecto. Les veines de ses yeux éclatèrent et des larmes de sang strièrent son visage empourpré.

"C'est ce qui m'est arrivé, murmurai-je. Mon sourire se fit plus large. À présent c'est ton tour."

Valtican s'évanouit de colère. Peut-être s'était-il souvenu de la mort de ses enfants. Peut-être s'était-il souvenu de ma sœur et de mon père. Peut-être y avait-il simplement trop de pensées et de souvenirs dans son esprit pour qu'il fonctionne.

Enfin le fruit de ma vengeance avait poussé et éclos. Valtican était détruit. Rien d'autre que la souffrance et le désespoir ne l'attendait. J'avais accompli mon but.

Je n'arrivais cependant pas à m'en réjouir. Le sourire que j'avais arboré n'était qu'une façade. Je n'arrivais à penser qu'à ma famille. J'avais seulement envie pleurer.

À l'heure où j'écris ces lignes, de gigantesques tsunamis submergent l'île. La terre a commencé à couler. Les hurlements de la tempête résonnent à mes oreilles, à moins que ce ne soient ceux de ses victimes ? Je ne sais plus.

Cet endroit est un enfer. Ce ne sera bientôt plus une île, mais à nouveau une mer. Je pourrais me servir de ma magie, me téléporter hors d'ici... mais à quoi bon ? Qu'aurais-je d'autre à faire de ma vie ? Ma vengeance était ma raison de vivre. Sans elle, autant fermer les yeux et m'endormir.

J'imagine retrouver mon père et ma sœur dans l'au-delà, ne serait-ce qu'un instant. Je ne peux imaginer plus grande joie, plus grande paix.

J'espère que personne ne commettra jamais les mêmes erreurs, ni ne fera les mêmes choix. Une histoire aussi terrible ne devrait jamais se répéter. J'ai l'intention de lancer les pages de mon journal au vent dans l'espoir qu'un jour quelqu'un, quelque part, parviendra à les rassembler. Et à en apprendre quelque chose. Quelque chose sur l'amour et mais aussi sur la haine. Quelque chose qui ait des conséquences.

Dans quelques instants, l'île ne sera plus. Sois bénie pour ton aide, Dahuta. Sois tout autant maudite. Je nomme à présent cet endroit la Mer des amours englouties.
Lilyna
Lilyna

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